Que fait l'UEFA de l'argent des coupes d'Europe ?

Écrit par C.Opposée, le 15 février 2022 à 07:08. Mis à jour le 8 mars 2022 à 17:19.

Que fait l'UEFA de l'argent des coupes d'Europe ? Accès libre

Dans les journaux, à la radio, dans la bouche des dirigeants de clubs, dans les stades… tous ceux qui suivent le foot ont déjà entendu cet argument : l’UEFA est une organisation cupide, elle ne pense qu’à s’enrichir au détriment des fans ou des clubs. Puis la Super Ligue est arrivée et chaque camp accusait l’autre de la même chose....

« L'argent est devenu plus important que la gloire, la cupidité plus importante que la loyauté, et les dividendes plus importants que la passion. »
Aleksander Ceferin, président de l’UEFA, à propos de la Super Ligue en avril 2021

« Ils veulent maintenir leurs privilèges contre l’avis des fans. On ne peut pas accepter de voir Ceferin augmenter son salaire pendant qu’on perd de l’argent. Il y a des gens qui ont des privilèges et souhaitent les protéger alors que le football se meurt. »
Florentino Pérez, dans El Transistor en juin 2021

« Chaque année, l’UEFA engrange un peu plus de 3 milliards d’euros. Sur ces 3 milliards, 130 millions seulement vont aux revenus de solidarité. (…) Il suffirait de presque rien pour que les uns et les autres enterrent la hache de guerre. Une meilleure répartition des revenus entre l’UEFA et les clubs pourrait satisfaire les aspirations de chacun. »
Leo Heredia, dans After Foot La Revue en novembre 2021, qui fait écho au discours de Daniel Riolo régulièrement sur Twitter et dans l’After

« Il faut dire que l’instance européenne ne pouvait pas prendre le risque de se séparer de sa compétition ô combien lucrative, lui rapportant plus de 2 milliards d’euros par an. »
Pierre Rondeau, sur SoFoot.com en avril 2021

Difficile de comprendre le rôle que joue cette organisation, et par extension les intérêts et les positions qu’elle défend dans les négociations puis la mise en place des multiples réformes qu’ont connu ses compétitions de clubs. Nous allons d’essayer d’y voir plus clair à travers une série d’articles sur le sujet, en commençant par la question la plus simple : que fait l’UEFA de l’argent des coupes d’Europe ?

Notre analyse utilise le rapport financier de l’UEFA pour la saison 2018/19, publié en février 2020, car c’est la dernière saison “normale” (hors covid) dont les chiffres sont disponibles. Les principes de distribution sont restés les mêmes jusqu’en 2020/21 avant d’évoluer cette saison avec l’introduction de la Ligue Europa Conférence mais les ordres de grandeur resteront similaires.

Plusieurs milliards d’euros par saison à répartir

Pour le cycle 2018-2021, l’UEFA a généré 3,2 milliards d’euros par saison (hors remises covid) via la Ligue des Champions (UCL) et la Ligue Europa (UEL). Ce montant a augmenté pour atteindre 3,6 milliards pour le cycle 2021-24, alors qu’il devrait dépasser les 4 milliards par saison avec l’introduction du nouveau format en 2024-27. Les sources de revenus sont les suivantes, par ordre d’importance :

  •  Les droits TV (84% des revenus), entièrement centralisés et vendus par l’UEFA dans le monde entier, arrivent largement en tête - RMC Sport payait pour ce cycle environ 350 millions d’euros par saison pour les droits en France, soit un peu moins que BT Sport et ses 394 millions de livres par an au Royaume Uni
  • Viennent ensuite les droits sponsoring et merchandising gérés par l’UEFA : affichage dans les stades, spots de présentation TV autour des matches et activations sur les supports numériques vendus entre autres à Heineken et PlayStation pour la Ligue des Champions (les clubs vendent leurs propres droits sponsoring séparément, notamment aux sponsors affichés sur leurs maillots, donc ces revenus ne sont pas comptés ici)
  • Enfin, les revenus de la billetterie ne représentent qu’une toute petite part du gâteau puisque l’UEFA ne gère que la billetterie des finales

82% de ces 3,2 milliards sont reversés directement aux clubs qui ont disputé les qualifications ou la phase finale de ces compétitions en fin de saison en tant que prize money selon des critères de performance et de taille de marché (la part qui revient aux clubs éliminés en phase de qualification est en réalité comptée dans les paiements de solidarité mais il nous semble plus juste et plus clair de l’afficher ici). 

Nous détaillerons dans un prochain article le système de répartition entre les clubs et les effets de celui-ci, mais notons ici que si la C1 génère 89% des revenus, ses clubs ne récupèrent “que” 76% du prize money et qu’il existe donc un premier mécanisme de redistribution sous la forme d’une subvention de la C1 vers la C3.

575 millions d’euros à dépenser

Par conséquent, l’UEFA ne conserve la main que sur 18% des revenus, soit 575 millions d’euros. Que fait-elle ensuite de ces revenus ?

269 millions d’euros, soit presque la moitié du montant géré par l’UEFA, sont comptabilisés comme des coûts d’organisation des compétitions de clubs et de leurs 343 matches par saison : location des infrastructures, sécurité, production TV, services aux diffuseurs, vente des droits, équipement des stades en panneaux, salaires des arbitres, etc. Cette part de coûts est validée par les clubs et comprend une partie ou la totalité des salaires de nombreux employés de l’UEFA et des agences ou partenaires qui interviennent dans la gestion des compétitions.

Viennent ensuite les paiements de solidarité vers les clubs professionnels qui ne participent pas aux coupes d’Europe cette saison là. 129 millions d’euros sont collectés par les 55 fédérations nationales qui ont la responsabilité de les reverser aux clubs qui peuvent justifier de projets de “développement du football junior”.

Reste alors ce qui est considéré comme la part de l’UEFA, soit 177 millions d’euros (auxquels s’ajoutent le résultat net d’autres compétitions comme la Ligue des Nations pour arriver à 236m€) qui sont en partie reversés aux fédérations (programme HatTrick pour le développement du football) ou en dons mais surtout dépensés par l’UEFA en frais de fonctionnement, notamment pour l’organisation des EURO U17, U19 et U21 hommes et femmes qui sont déficitaires chaque année.

Il est difficile de déterminer exactement quelles dépenses de l’UEFA sont réalisées à partir des bénéfices des compétitions de clubs, mais on peut retenir que :

  • 269 millions d’euros (soit 8% des revenus) sont “consommés” par l’UEFA en frais de commercialisation et d’organisation des compétitions de clubs
  • 129 + 177 = 306 millions d’euros (9% des revenus) sont “taxés” par l’UEFA et ses associations membres et sortent de l’écosystème des clubs participants à la Ligue des Champions et la Ligue Europa pour aller financer d’autres projets

Accuser l’UEFA de cupidité revient à dire qu’au moins un des deux points précédents n’est pas justifié, et que les changements de format et autres modifications récentes des règlements sont motivés par le fait de vouloir augmenter un de ces montants. Alors ont-ils augmenté et dans quelles proportions ces dernières années ?

La croissance de la part reversée aux clubs a été la plus rapide et la plus spectaculaire sur 15 ans (x6,2) tandis que la part consommée et taxée par l’UEFA a aussi nettement augmenté (x3,9) avec une répartition presque égale entre coûts et financement de projets annexes. Les rapports financiers de l’UEFA donnent plus de détails sur les centres de coûts mais il est impossible d’aller vérifier et questionner chaque dépense. 

Notons tout de même que le nombre de matches a considérablement augmenté avec la création de la Ligue Europa en 2009, et que les standards de production ont beaucoup changé en 15 ans. Jetons finalement un oeil aux salaires et avantages du personnel de l’UEFA sur cette période : ceux-ci sont passés de 22,2m€ pour 202 employés à 99,7m€ pour 509 employés, soit des dépenses moyennes par employé multipliées par 1,8 qui pourraient être expliquées par l’inflation et par une montée en compétences générale au sein de l’organisation. Le président de l’UEFA a quant à lui reçu une rémunération de 2,4m€ en 2019/20 alors qu’elle était de 1,6m€ en 2016/17 (x1,5 en 3 ans).

Alors, que retenir de cette première analyse ? Tout d’abord, que la plus grosse part du gâteau revient directement aux clubs et que cette part ne cesse de grandir plus vite que le reste. Rien de vraiment anormal là-dedans, mais ce point nous semble trop souvent ignoré dans les articles et les débats traitant du sujet : non, il ne suffit sans doute pas d’une meilleure répartition des revenus pour satisfaire tout le monde.

Ensuite, que l’UEFA n’est pas une entreprise privée pilotée par des actionnaires qui cherchent à faire un retour sur investissement. Les bénéfices des compétitions de clubs sont réinvestis dans les autres compétitions déficitaires, reversés aux associations membres ou stockés en réserves pour pallier les imprévus. On peut bien sûr considérer que les taxes et mécanismes de redistribution ne sont pas justifiés, et que le football de clubs ne doit pas aider au financement des autres compétitions. Nous pensons au contraire qu’ils sont encore trop faibles, et nous défendrons ce point de vue dans nos prochaines publications.

Est-ce à dire que l’UEFA est un modèle de gestion et qu’il n’y a aucun abus au sein de l’organisation ou dans son écosystème ? Peut-être pas. Même si aucun scandale majeur n’a été révélé, il est possible que le demi-milliard d’euros géré directement par l’instance soit sujet à des détournements voire des pratiques de corruption et que certains intermédiaires ou partenaires commerciaux et politiques sachent profiter du système. Mais dans quelles proportions ? Si tout cet écosystème ne gère que 18% du total, combien peuvent bien représenter les éventuels abus en salaires, commissions et bonus ou en subventions reversées trop facilement pour s’acheter des voix ? Quelques % du total tout au plus ? Répartis entre combien d’acteurs ?

Il nous semble alors bien difficile d’affirmer que l’UEFA, ses partenaires et ses associations membres sont les principaux instigateurs des réformes récentes et à venir. Certes, tous ces acteurs y gagnent quelque chose, mais une part conséquente de leurs revenus semble dépensée ou réinvestie de manière légitime. Surtout, leurs intérêts ne pèsent pas lourd à côté de ceux des clubs qui gèrent une somme quatre fois plus importante et qui évoluent dans un contexte économique ultra compétitif où la croissance est indispensable pour garder ou attirer les meilleurs joueurs.

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